Parcours d’Anne-Lyse

Je suis née le 20 octobre 1978. Un bébé joyeux, un bébé classique, on dira même une très jolie petite fille… Jusqu’à dix ans j’ai vécu une enfance très heureuse et paisible à la campagne à Trévignin, petit village situé au-dessus d’Aix-Les-Bains (Savoie). J’ai couru dans les champs avec ma chienne boxer, Oxygène fait du B-Cross et grimpé dans les arbres avec mes copines, j’ai été à l’école, bien sûr. C’était mes seules préoccupations et elles suffisaient amplement à mon bonheur.. Puis le 17 février 1989… d’un jour à l’autre, tout a basculé. Voilà, j’avais une leucémie. Mon petit univers d’enfance fait d’innocence et d’insouciance s’écroula. J’ai appris bien vite, trop vite, que la vie n’est pas un long fleuve tranquille ! Il allait falloir se battre pied à pied contre la maladie… Durant cette période, j’ai été très entourée et énormément soutenue par la famille et des amis ; je ne les remercierai jamais assez… La recherche d’un donneur de greffe fut un combat terrible. Et puis ,au milieu de l’angoisse, aucun membre de ma famille n’était compatible, un rayon de soleil éclairant le malheur : un donneur compatible extérieur à la famille était prêt à me faire le don de ma propre vie. . J’ai été greffée (moelle osseuse) en novembre 1989. À l’époque, le test au CMV ne se faisait pas et j’ai contracté ce virus qui a atteint mes yeux. J’ai perdu complètement la vue en quelques mois mais pour rien au monde, je ne voudrais changer quoi que ce soit car sans cette greffe, je ne serai plus là. J’ai coutume de dire de manière un peu crue que dans un cercueil mes yeux ne me serviraient à rien non plus. À mon retour de longs mois d’hospitalisation, ma famille et moi avons décidé de tenter ma scolarité en intégration. D’une part, nous avions été "séparés" 18 mois, une éternité pour la petite fille que j’étais , et d’autre part, le collège spécialisé se trouvait à côté de Lyon ; ville dont je ne voulais plus entendre parler. Il y a 20 ans, quasiment rien n’était prévu pour aider les jeunes en intégration scolaire ; pas de service d’accompagnement comme celui dans lequel j’exerce actuellement. Là encore, j’ai eu beaucoup de chance de tomber sur des équipes pédagogiques motivées et volontaires qui y croyaient. Je me faisais assez facilement des camarades qui eux aussi m’ont beaucoup aidés. J’étais à nouveau une enfant. Tout n’a pas été néanmoins si rose, bien loin de là… Il a tout d’abord fallu faire face à des parents qui ne souhaitaient pas que je sois dans la même classe que leurs enfants de peur que je retarde la classe et n’abaisse le niveau… Je me souviens encore m’être dit, à la fois pour les faire taire mais aussi pour prouver aux personnes de l’école spécialisée qui m’avait assuré que je ne pourrai être que standardiste (hé oui, c’est le destin des aveugles…), que je les ferai mentir…Rien de plus stimulant que d’utiliser la force de vie que j’avais accumulée durant ma maladie. Pourquoi guérir si c’était ensuite pour ne vivre qu’à demi ? Durant mes 2 premières années de collège, j’ai travaillé exclusivement à l’oral ; apprenant le braille en parallèle. La plupart des leçons, je les apprenais en classe en étant attentive et le soir, mes parents me relisaient les cours afin d’en parfaire l’apprentissage. La mémoire est une sorte de muscle qu’il faut faire travailler. La mienne a beaucoup travaillé ! Mais je n’aurais rien pu faire sans le dévouement, la patience et l’amour de mes parents. Ils ont cru en moi. Alors, moi, j’ai cru en moi aussi. Objectif atteint : j’ai obtenu une moyenne générale de 18 en 6e et de 16 en 5e… J’ai continué comme ça mon petit bonhomme de chemin jusqu’en seconde. À partir de la quatrième, j’ai travaillé en braille avec un ordinateur adapté et j’ai beaucoup gagné en autonomie. Je mettais un point d’honneur à être toujours dans le peloton de tête et j’y parvenais… mais il est vrai à quel prix… Je passais mes soirées et mes week-end à étudier et n’avais quasiment pas de temps à moi. Mais cela m’était égal. Pour moi, c’était normal et je vivais et c’était bien là le principal. Et sans orgueil inconsidéré, je vivais une vie comme les autres, ou presque…je travaillais plus que mes camarades, c’est plus lent de travailler en braille qu’en noir. Au moment du choix de la spécificité de la première, tout s’est compliqué. J’ai du faire face à d’autres idées préconçues. J’adorais et j’adore toujours les matières scientifiques et souhaitais faire un BAC scientifique mais "on" ne me voyait pas en S, c’était "bien trop compliqué pour une personne aveugle…". Je ne voulais pas lâcher le morceau, après tout c’était de mon avenir dont il s’agissait. J’ai réussi à convaincre l’équipe enseignante en leur demandant de me laisser la possibilité de me tromper et d’échouer comme n’importe quel autre élève et qu’à mon sens il valait mieux avoir des remords que des regrets mais au moins j’aurais essayé. Encore une fois, la persévérance et la volonté payèrent. J’ai obtenu mon BAC S en 1997 sans redoubler.

Après l’obtention de mon BAC, j’ai décidé de m’octroyer une années sabbatique et sympathique. Je refis une terminale afin d’approfondir mes connaissances et SURTOUT pour me permettre de souffler. C’est d’ailleurs cette année-là, qu’en sortant avec des amis, j’ai rencontré celui qui deviendrait mon mari !

Puis ce fut la fac de mathématiques, physique, chimie, informatique à Grenoble. Ce fut aussi mes premiers pas dans la vie seule. J’avais jusque là bénéficié de la présence tendre et bienveillante de ma famille. A présent, j’étais seule dans « la cour des grands », des futurs adultes en formation. Presque tous fort ignorants des problèmes inhérents au handicap visuel. Seule, mais heureusement soutenue par le réconfort et la tendresse que m’apporte Mousky, mon petit York-Shire, arrivé cette année-là. La fac n’est pas l’endroit le plus solidaire et chaleureux du monde. C’est comme ça, cela tient au nombre des étudiants, à la structure des cours et de l’enseignement en général. Je n’en veux à personne, et j’ai au fond vécu aussi des moments intenses et formateurs. Les deux premières années se passèrent très bien. C’est d’ailleurs, au cours de ma première année, que j’eus le bonheur d’avoir mon premier chien-guide : mon merveilleux Nelton ; toujours parmi nous mais à la retraite désormais. Il m’apporta encore une plus grande autonomie : celle des déplacements en sécurité et surtout adieu la dépendance à la bonne volonté des uns et des autres. Je circulais toute seule. En 3e année, je suis hélas tombée sur un prof de math exécrable qui, le premier jour de cours, ma dit que je n’avais qu’à me débrouiller, que ce n’était pas à lui de faire des efforts… Malheureusement, durant cette même année, j’ai eu des soucis hormonaux qui m’épuisèrent. C’était trop, j’ai abandonné mes études, espérant les reprendre un jour. Cet arrêt a été cruel. Je me remettais complètement en question. Est-ce que j’étais bien toujours la battante qui ne recule devant rien ?. J’ai alors choisi d’être bénévole deux ans dans une école primaire accueillant des élèves déficients visuels. Je fis la connaissance d’un instituteur à qui j’ai enseigné le braille abrégé. Lors de l’ouverture du SAAAIS 38, cette personne parla de moi et je fus embauchée en tant qu’éducatrice scolaire. J’y travaille encore aujourd’hui. Je leur enseigne le braille, l’utilisation du matériel informatique spécialisé, la géométrie en relief ainsi que mes chères matières scientifiques si exigeantes en rigueur tant dans la réflexion que dans la bonne utilisation de son code braille. Je crois que je ne regrette plus d’avoir abandonné mes études scientifiques. Car dans mon métier actuel, je me sens bien, je suis utile aux autres. Tout ce que j’ai vécu prend un sens. Positif.

Je me suis mariée en 2006 dans le petit village de mon enfance ; village voisin de celui d’où est originaire mon petit mari, Claude. Eh oui, il m’avait fait l’honneur d’accepter ma demande en mariage ! L’annonce de cette nouvelle en a étonné plus d’un dont les enfants auprès de qui je travaille. « Même aveugle, on peut se marier ! » a été la réflexion qui a fait exploser les chiffres ! C’est le maire, le même, qui, 20 ans plutôt avait célébré notre baptême à ma petite sœur et à moi, à mon retour de l’hôpital, qui nous a mariés. Plus de 80 personnes se sont réunies pour partager notre bonheur dont le médecin qui m’a sauvé la vie. Je n’ai d’ailleurs pas manqué de lui rendre hommage publiquement le soir même. Ce jour-là, a été tout simplement magique, chargé d’émotions positives et de chants à la vie triomphante. J’étais tout naturellement accompagnée de mon brave Nelton et c’est lui qui m’a conduite à mon mari à la mairie. Nelton a été mis à la retraite, retraite bien méritée, en septembre 2009, à l’âge de 12,5 ans ! Nous avons eu le bonheur d’accueillir récemment Crispy, ma nouvelle chienne-guide. Il m’a suffi d’un regard pour en être fan autant que je suis fan et reconnaissante envers Nelton. C’est une collègue qui m’a fait remarquer récemment que j’avais l’air d’être fan de ma chienne. C’est évident… avec tout ce qu’ils nous apportent, nous offrent en autonomie, on ne peut pas ne pas en être fan, de nos compagnons de tous les instants, nos chiens guides chéris.

Actuellement, nous rénovons une maison qui sera notre petit nid à nous. Nous espérons fortement que des cris d’enfants la rempliront bientôt… mais… ça c’est une autre histoire !

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